Voler sur la Terre avec la chaussure Hoka

Voler sur la Terre avec la chaussure Hoka

En 2011, lorsque la chaussure trail Hoka Oversize débarque en plein âge d’or du minimalisme, ils sont très peu à croire en la réussite de ce concept inventé par de doux-dingues français. Aujourd’hui, la marque s’est imposée sur tous les terrains de la course à pied, et continue de prospérer. Nous sommes allés « creuser » le phénomène Hoka en Californie, au siège de son propriétaire, le géant Deckers. D’Annecy au Texas en passant par le Colorado et la Californie du nord puis du sud, voici l’histoire de la folle réussite. 

L’histoire de la chaussure Hoka One One

Hoka premier vol au-dessus d’Austin

Une chaussure Hoka oversize qui détonne

Pourquoi l’Amérique ?

Chaussée par les américains

L’esprit Start Up

Hoka, Deckers, c’est qui le chef ?

Hoka, d’où vient ce nom ?

Oversize Vs minimalisme

L’histoire de Hoka One One

Créée à la fin des années 70, l’entreprise californienne Deckers Outdoor Corporation possède aujourd’hui des marques qui lui rapportent beaucoup d’argent et sont connues dans le monde entier. UGG en est le meilleur exemple. Hoka One One est quant à elle la première marque performance du groupe. « En 2009, alors que je suis encore chez Tecnica où j’officie comme VP business development, nous sommes déjà Nicolas et moi en train de lancer la marque en France » commente Jean-Luc Diard.

Il poursuit : « Nicolas Mermoud réussit un truc extraordinaire : il obtient le droit de tenir un petit stand au salon du running à Austin au Texas alors qu’il n’a pas réservé et surtout pas payé. C’est un salon pour les professionnels et toute l’industrie américaine est là, des athlètes aux marques mais également les clients de ces marques : les acheteurs, les distributeurs, autrement dit les magasins ».

Hoka, premier vol au dessus d’Austin

Dans le lot, il y a Johnny Halberstadt. C’est un ancien coureur de haut niveau sud-africain réputé pour son esprit combatif sur les Comrades mais également meilleur chrono africain sur marathon en 1979 avec 2:12 :19 à Durban. Devenu depuis propriétaire d’une chaîne de magasin de running emblématique, la Boulder Running Company, le commerçant est venu comme chaque année faire son marché. Boulder est une ville réputée pour la qualité de vie qu’elle offre aux athlètes des sports d’endurance venus s’y installer, coureurs et triathlètes en tête.

C’est aujourd’hui là que s’entraînent et vivent des athlètes pro tels que le très populaire ultra trailer américain Anton Krupicka, pape du mouvement minimalisme et deux fois vainqueur du 100 miles de Leadville, ou encore le triathlète australien Craig Alexander, 3 fois champion du monde Ironman. Autant dire que ce qui se passe à Boulder ne reste pas à Boulder mais influence le reste de la communauté de l’endurance à travers tout les Etats-Unis, avant de traverser le Pacifique et l’Atlantique pour irradier le reste du monde.

Johnny Halberstadt est tout de suite séduit par la chaussure que Nicolas lui montre. « Il est fou, immédiatement convaincu, et il en veut tout de suite. Entre temps, en France, nous on s’est offert les services de Christophe Aubonnet » continue Jean-Luc Diard. Après 15 ans chez Salomon et pas mal de sport dont du ski mais aussi du sport d’endurance multi activité et une participation aux deux derniers Raid Gauloise, Aubonnet  a fait le tour de la question chez Salomon, il débarque avec une expérience aussi épaisse que la semelle de la chaussure trail Hoka.

« Je ne me sentais plus très à l’aise, je voulais changer d’air. Je quitte Salomon au début de l’année 2009, Jean-Luc est lui parti depuis fin 2007. Ce patron pour qui j’avais déjà beaucoup de respect m’appelle le jour d’après mon départ pour que je prenne en main la R&D de Hoka One One dans un esprit de start-up qui me motive bien ».

Christophe Aubonnet

La chaussure Hoka, une taille oversize qui détonne

Un peu plus tard, de ce côté de l’Atlantique, en août 2009 lors du salon UTMB, 7ème du nom, les trois hommes tiennent un stand et présente la chaussure trail Hoka. Hoka One One font essayer les chaussures à qui veut et là encore, les retours et commentaires sont fulgurants. « Ce qui s’est passé à Chamonix nous a vraiment donné confiance et confirmé dans notre idée de départ » témoigne encore Jean-Luc Diard. Quelques participants sont en effet tellement sous le charme de la promesse du concept que plusieurs d’entre-eux demandent à pouvoir utiliser la chaussure trail Hoka sur la course qui a lieu…le lendemain ! « C’était bien la preuve qu’à leurs yeux, aucune des autres chaussures qu’ils avaient prévu pour la course ne trouvait plus grâce à leurs yeux désormais ». Une folie.

En pleine vague minimaliste, alors que d’autres équipementiers comme New Balance, Inov-8, Merrell, Vibram ou même Nike cherchent à convaincre le monde entier que l’avenir du running passe par les plus petites semelles intermédiaires possible, les hommes d’Hoka One One les rois de l’oversize reçoivent leur première commande : et c’est encore Johnny Halberstadt qui s’y colle. Il veut la totalité du stock mais les Français sont confiants et refusent. Ils ne lui vendent que 750 paires. Cette première commande ferme est donc 100% américaine, le début du succès made in USA.

Pourquoi l’Amérique ?

Pour les deux fondateurs, conquérir le marché américain était impératif depuis le début.

On a tout de suite voulu s’installer ici car l’Amérique représente non seulement 40% du marché mondial, mais c’est aussi de là qu’il faut partir aujourd’hui quand on veut lancer une marque qui doit marcher très vite, et à l’échelon planétaire. La France ne nous suffisait pas. On savait qu’il fallait convaincre dans trois endroits clés aux USA pour espérer toucher en profondeur ce marché américain : dans le Colorado, en Utah et en Californie.

Jean-Luc Diard 
chaussure trail hoka oversize
La gamme de chaussure Hoka testées et comparées – Big Test Shoes

Avant même que nous lancions la marque, nous voulions fortement nous implanter aux Etats-Unis parce que nous savions que le produit y serait bien accepté. J’ai fait mes premiers repérages pour Hoka One One aux Etats-Unis en 2009 et même déménagé milieu 2010 pendant 6 mois. Les leviers sont extraordinaires là-bas, les marchés financiers et les médias sont friands d’innovation et les start-up qui poussent comme des champignons participent à l’enthousiasme général. D’une manière générale, réussir en Europe est plus compliqué, car c’est un vrai melting pot où chaque nation a ses particularités, sa langue, sa culture. C’est un vrai casse-tête. 

Nicolas Mermoud 

2010. L’Amérique fait de nouveau les yeux doux à nos montagnards. Johnny Halberstadt, encore lui, parle de la marque à un de ses copains : le patron de Deckers Outdoor Corporation. « On savait très bien que sans capitaux extérieurs, on allait vite se retrouver bloqués et plafonner sans vraiment avoir une chance de se développer comme on l’ambitionnait » raconte Jean-Luc Diard. Le problème qu’ils rencontrent est classique des sociétés dont la croissance est fulgurante : les bénéfices de la saison précédente ne suffisent plus à couvrir les coûts de production d’une saison suivante, beaucoup plus importante en terme de quantité de modèles.

Les chaussures Hoka Chaussée par les américains

Si en 2010, le premier contact entre Nicolas Mermoud et Deckers est informel, il se précise en juillet 2012 avec une entrée au capital de l’entreprise à hauteur de 20%. Cela correspond également à une époque où les deux amis ne peuvent plus assurer de financement supplémentaire par eux-mêmes. Un an plus tard, en avril 2013, et puisque Deckers continue de les démarcher, ils cèdent aux sirènes californiennes et vendent tout. Annecy intègre alors le bureau du design et de l’innovation du groupe Deckers Outdoor Corporation. C’est le début officiel de l’aventure américaine à temps plein avec une base à San Francisco, à côté d’autres entreprises leader du secteur de l’outdoor américain telles que Camelbak, GU Nutrition ou encore Mountain Hardwear, propriété de Colombia Sportswear.

Comme Boulder dans le Colorado, la région de San Francisco, en Californie, est un équivalent d’Annecy, le siège français de Hoka One One, un lieu où se regroupent la plupart des entreprises liées au business de l’outdoor. Depuis, Hoka One One a été délocalisé de San Francisco à Santa Barbara et le patron américain de Hoka One One Jim Van Dine remplacé par Wendy Yang, présidente de tout le Performance & lifestyle chez Deckers. Ce rachat complet marque aussi le départ de Nicolas Mermoud. Il reste un temps comme conseiller avec un contrat américain en direct, mais il se désengage officiellement de son rôle prépondérant jusque-là.

L’esprit start-up

L’innovation chez Deckers n’est pas un vain concept. Jean-Luc Diard explique. 

Je crois que ce qui fait la force de Hoka One One et plus généralement du groupe Deckers c’est notre vision de ce qu’est l’innovation. Si notre bureau d’Annecy est intégré à l’innovation du groupe et s’occupe désormais de toutes les marques du groupe et pas seulement de Hoka One One, ce n’est ni un hasard ni une faveur que nous font les Américains. Ils ne souhaitent pas se débarrasser de ce centre français pour une raison très simple : pour innover, il est fondamental d’être riche en différences. Cela veut dire être riche en personnalités, en expériences, en cultures.

Nous ne sommes de toute façon pas les seuls à fonctionner ainsi : Nike possède un centre de design très avancé en Italie depuis 20 ans ! Et quand j’étais chez Salomon, nous avions lancé un design center dans le Colorado exactement pour ces raisons. Quand une entreprise souhaite être globale, il faut penser en terme de continent. Avec Hoka One One, on a des gens partout : ici en Californie, en France à Annecy mais aussi en Asie et bien sûr, en Angleterre à Londres pour des fonction de back office qui concernent toute l’Europe. Il faut passer outre le regard a priori critique de tout ce qui n’est pas né ou n’est pas fait ici. C’est important pour nous de pouvoir continuer à capter des compétences sur Annecy.

C’est aussi en France que nous travaillons à la conception d’autres produits tels que les sacs à dos pour le running, ainsi qu’une gamme de textile même si nous attendons le feu vert du siège de Santa Barbara pour réellement s’y lancer. Et puis n’oublions pas que nous n’avons pas les mêmes montagnes dans les Alpes et en Californie, et qu’il est difficile pour un Californien habitué au soleil 365 jours par an d’imaginer qu’on peut faire du trail running sur un sentier glissant et boueux. C’est donc constamment une affaire de complémentarité

Jean-Luc Diard

Hoka, Deckers, c’est qui le chef ?

La petite française a-t-elle été avalée toute crue et dénaturée de sa singularité par l’ogre californien dont les revenus mondiaux se comptent en milliard de dollars ? Le bureau d’Annecy est-il voué à disparaître rapidement ? La réponse de Nicolas Mermoud, l’autre fondateur de la marque. 

Les Américains ont amené à Hoka One One la puissance financière qui permet à la marque de se développer et il ne faut pas s’y tromper : Hoka One One leur appartient, c’est eux qui gèrent le business et nous, les Français, on travaille pour eux. Bien sûr qu’il y a eu au début quelques poussées d’ego dans les premiers moments de l’appropriation. On était une start-up hyper hardcore, avec une expérience et une logique très « ski ». On arrivait avec une image trail running forte et un niveau de prix élevé. Deckers était une boîte de produits lifestyle à base de sandales pour kayakistes et de bottes pour surfeurs. Mais je ne pense pas que nous nous soyons les-uns les-autres arrêtés là-dessus trop longtemps.

A Annecy, on est capable de leur offrir une puissance créative très forte, et il y a une importante reconnaissance de notre créativité à la française. En France on dépose des brevets tout le temps, on est un peu des rebelles, on aime bien casser les règles, c’est dans notre culture. Et les Américains sentent plus les business à développer. Là aussi, c’est dans leur culture. Quelqu’un comme Christophe Aubonnet qui assure à Annecy des fonctions de développement et marketing produit est totalement irremplaçable pour le moment. Il travaille beaucoup au feeling, c’est le « Laird Hamilton du running » et les Américains ont beaucoup de respect pour lui car non seulement il apporte sa vision d’ingénieur expérimenté, mais c’est aussi un gars qui va se remonter les manches et mettre les mains dans le cambouis.

Le boulot des Américains, c’est d’amener la marque le plus haut possible afin de rivaliser avec les plus grandes qui officient depuis des années mais dont on a rien à envier. Nous, même si moi je suis quand même à un moment sorti du jeu, on continue de s’éclater, de proposer des choses, de donner notre avis, tout en travaillant pour eux, tout en répondant à leurs attentes et en faisant ce qu’ils nous demandent. Grâce aux Américains, Hoka One One navigue aujourd’hui à un échelon bien supérieur.

Les nouveaux modèles sont initiés à la fois par les bureaux d’Annecy et de Santa Barbara mais c’est bien Chris Hillyer qui pilote la marque de la Californie et au final donne ses directives à Annecy. Là où on voit qu’ils nous apprécient et nous font complètement confiance c’est qu’ils nous demandent de travailler à l’innovation de leurs autres marques, comme UGG par exemple dont la nouvelle collection intègre des technologies Hoka One One. Et il ne faut pas oublier que le lifestyle c’est très important pour notre business parce que 90% des gens qui achètent du Hoka One One ne vont certainement pas faire l’UTMB avec 

Nicolas Mermoud

Hoka, d’où vient ce nom ?

Christophe Aubonnet, ingénieur responsable de la R&D à Annecy, sait aussi faire preuve de bon sens marketing. Il explique l’origine du « Hoka » et du « One One ».

Voler sur la Terre avec la chaussure Hoka
Voler sur la Terre avec la chaussure Hoka

Hoka, en langage Maori, ça veut dire, voler, planer. Avec Nicolas et Jean-Luc on était d’abord parti sur « Hubble » qui est le nom d’un satellite américain, puis « bubble » qui veut dire bulle en anglais et qui pouvait faire référence à l’effet de courir sur des bulles. On cherchait un nom qui puisse faire sens un peu dans toutes les langues, et moi je suis originaire de La Rosière, une petite station franco-italienne des alpes du nord où les gens parlent encore le patois, on s’est mis en quête de chercher quelque chose du côté des dialectes plus rares.

On a même imaginé des noms de vents ! Et puis on est parti sur les langues rares et exotiques et on est tombé sur Hoka. Ensuite, comme au niveau d’Internet on parlait déjà de 2.0 et qu’on voulait être moderne mais également marquer une rupture par rapport à ce 2.0, on a imaginé faire 1.1, ce qui donne en anglais « One One ». Enfin, on a aussi vu qu’au milieu de Hoka il y a OK, qui historiquement veut dire « zero killed » ; le O est en fait un zéro, et renvoie aux soldats américains qui, pendant la guerre de sécession, quand ils rentraient de mission, faisaient le même signe qu’en plongée sous marine pour dire que tout va bien avec le pouce et l’index qui forment un « o »

Christophe Aubonnet

Oversize Vs minimalisme

Hoka One One ou comment la plus grosse semelle du monde s’est servi du minimalisme pour se faire un nom.

D’abord il faut dire que n’avons pas fait exprès de lancer Hoka One One en pleine vague minimaliste » explique Nicolas Mermoud. « Quand nous développions les produits sur les sentiers de Chamonix ou des Contamines, personne en France savait encore ce qu’était le minimalisme ». Quand il débarque aux Etats-Unis en 2009 pour commencer à montrer ses prototypes il découvre que le minimalisme fait tourner les têtes. Autant dire qu’avec le principe des semelles oversize, beaucoup, à l’époque, le dévisagent, le critiquent ou se moquent. « On était tellement en rupture ! » s’exclame-t-il.

chaussure trail hoka
Magda en chaussure trail Hoka © Gael Couturier

Après coup, voici pourquoi ce mouvement du minimalisme a bien aidé le lancement de la chaussure Hoka One One :

1) Le minimalisme a montré aux revendeurs, c’est à dire aux magasins, qu’ils pouvaient faire du chiffre de vente avec autre chose que de vendre une énième paire de basket qui ressemble à toutes les autres. Hoka One One n’a eu qu’à se frayer un chemin sur une porte déjà bien ouverte dans le domaine de la distribution.

2) L’arrivée de la chaussure trail Hoka One One a permis aux coureurs septiques envers le mouvement du minimalisme de s’approprier la marque française et de faire de ses modèles des chaussures cultes. « Timing is everything in this business » disent les Américains de Santa Barbara. Autrement dit, le timing c’est tout !

3) Les réactions de rejet de l’industrie du running a permis à nos petits Français d’avancer en sous-marin sans tellement se faire remarquer et donc sans se faire copier. C’est uniquement depuis que la marque est chez Deckers qu’elle a réellement les moyens juridiques de défendre ses propriétés intellectuelles et de lutter contre d’éventuelles contrefaçons de la chaussure trail Hoka.

© Récit et photos Gael Couturier

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