Vibram : la semelle qui en a sous le pied

Vibram Technological Center

Vibram fêtait, en 2019, les 10 ans de son centre de Recherche et Développement (R&D) en Chine : le Vibram Technological Center. Une occasion unique de visiter ce centre de recherche, conception et prototypage, pour découvrir quelques uns des secrets qui se trouvent sous nos pieds !

Une histoire qui commence en Italie

L’histoire de Vibram commence dans les Alpes Italiennes : six membres d’un groupe l’alpinistes perdent la vie lors d’une ascension en 1935. Principal facteur : le manque de performance des chaussures sur surfaces mixtes, mélangeant roche, glace, neige. En effet, à l’époque les semelles de chaussures de montagne étaient en cuir clouté ou bien en jute tressé/feutre ; la première offrant une bonne tenue sur la neige/glace mais peu pratique sur la roche, la seconde proposant tenue et durabilité sur roche sèche, mais perdant ses performances une fois mouillé/gelé.

C’est en 1937, avec l’aide de Pirelli, que sort la première semelle Carrarmato !

Marqué par cette expérience, un membre de l’expédition, Vitale Bramani, guide de montagne, décide de développer une semelle capable d’offrir de bonnes capacités de traction sur ces surfaces. Son choix se porte alors sur le caoutchouc pour deux raisons : il offre de bonne performances en terme d’adhérence, et il est facile à mettre en forme, permettant de fabriquer des semelles « sculptés », une révolution à l’époque. C’est donc en 1937, avec l’aide de Pirelli, que sort la première semelle « Carrarmato » !

Face au succès de celle-ci, Vitale Bramani ouvre sa première usine au lendemain de la guerre, en 1947. C’est plus tard, en 57, que le nom de Vibram, acronyme de VItale BRAMani, apparait. Par la suite, l’entreprise évolue doucement mais surement, avec une implantation aux Etas-Unis et la diversification des types de semelles dans les années 60, l’amélioration du caoutchouc, puis l’arrivée de l’EVA dans les années 70-80.

Une évolution en douceur certes, mais toujours réfléchi et novatrice : en 94, Vibram introduit Ecostep, la semelle incorporant jusqu’à 30% de caoutchouc recyclé, à une époque où l’écologie n’était pas tellement sur le devant de la scène. En 2004, le marque créer Fivefingers et pousse le concept de la chaussure dans ses retranchements, alors que minimalisme n’existait qu’à demi-mots et que Lieberman publiait la même année ses premiers travaux sur le sujet. Enfin, ces dernière années, Vibram s’est surtout illustré avec ses derniers composants et technologies, tel que Megagrip (2013), Arcticgrip (2016) ou LiteBase.

2004 : à l’aube du minimalisme, Vibram lance Fivefingers et pousse le concept de chaussure dans ses retranchements

Vibram, comment ça marche ?

Nous l’avons compris, Vibram, c’est une marque de semelles. Comme d’autres marques (Gore-Tex, T-zip, Boa, etc.), elle bénéficie d’une image plutôt bonne et l’octogone jaune sous la semelle est abondamment utilisé par les fabricants de chaussures pour vanter les qualités de leurs produits.

Mais là-dedans, que fait exactement Vibram ? Répondre « la semelle » est assurément trop simpliste, car elle est composée de plusieurs couches : la semelle de propreté, au contact du pied, que l’on peut enlever pour la nettoyer, la semelle de montage, qui sert de base lors de l’assemblage de la chaussure, les semelles intercalaires, qui déterminent certaines caractéristiques, comme l’amortissement et le dynamisme. Enfin, dernier élément entre le pied et le sol : la semelle d’usure – ou semelle extérieur – qui assure le contact au sol, les capacités de traction, de freinage. Vibram concentre son savoir-faire sur cette partie-là et propose un catalogue de semelles dans lequel les marques peuvent piocher.

Vibram concentre son savoir-faire sur le contact au sol et propose un catalogue de semelles dans lequel les marques peuvent piocher, en fonction de leurs besoins.

Mais ce n’est pas tout, Vibram agit aussi comme un bureau d’étude, qui conçois des formes de semelle et la recette pour la fabriquer. La « matière Vibram », dont la recette est secrète, est ensuite acheminé jusqu’à l’usine de la chaussure pour y être mélangé à un certain nombre de composant, puis vulcanisé et mis en forme. C’est donc le même principe que les marques de gâteau préfabriqué : le fabriquant de chaussure achète une préparation Vibram, puis dans son usine, ajoute des ingrédients et fait cuir selon la recette. La semelle est prête !

Là-dessus, deux aspects peuvent pousser les marques à faire appel à Vibram. Le premier est plutôt commercial : avoir une semelle Vibram garanti un niveau de qualité à l’utilisateur et fait bénéficier d’une certaine aura à sa chaussure. Le second est plus technique : une marque qui choisit les semelles Vibram n’aura pas à les développer elle-même. La conception de semelles demandant des compétences très spécifiques, la marque n’a donc pas à s’impliquer sur ce processus et peut se concentrer sur le reste de la chaussure (pour des raisons de coût, de moyens humains ou de compétences).

Le Vibram Technological Center de Guangzhou

Là-dessus, on peut se demander pourquoi une marque Italienne ouvre un centre de R&D en Chine ? Pour le comprendre, il faut regarder la marque de manière globale. Le siège de Vibram – et son premier centre de R&D – sont en Italie, c’est historique. Cependant, dès 1965, la marque se projette aux Etats-Unis via une licence exclusive pour la fabrication de ses semelles.

Ce pied à terre aboutira à de nombreux partenariats avec des marques nord-américaines – et notamment sur le marché des chaussures de travail, souvent « made in USA » -, un centre de R&D local et un contrat avec l’US Army. On peut aussi supposer que la proximité géographique entre les activités de Vibram aux Etats-Unis (Boston) et les travaux de Daniel E. Lieberman (Université d’Harvard) sur la course à pied n’est pas pour rien dans la création de Fivefigers.

A Guangzhou (Canton), l’objectif est légèrement différent. La région est historiquement riche en commerce international et les sites de production peuplent des alentours de la ville. En développant ses activités en Chine dès 1998, puis en créant le Vibram Technological Center (VTC) en 2009, Vibram facilite donc la mise en œuvre de ses semelles, sur place, sur différents aspects : l’équipe locale permet des échanges plus faciles avec les producteurs : culture, langage, nomenclature communes. Cela permet de garantir que les recommandations de Vibram soient respectées lors de la fabrication de la chaussure.

D’un autre côté, le climat de Guangzhou est chaud et humide, assez loin de l’ambiance Milanaise. Or, la fabrication d’une semelle est assez sensible aux variables comme la température ou l’humidité. Avec un processus de fabrication conçu et testé sur place, Vibram limite donc les problèmes de qualité sur sa gomme : un point critique lorsque son principal argument de vente est justement, la qualité de la gomme. Enfin, les prototypes conçus sur place peuvent être testé et comparé à leurs concurrents directement dans le centre de test du VTC.

La semelle par Vibram

Nous le voyons, chez Vibram, tout tourne autour de la fabrication de cette fameuse semelle, et notamment du procédé de vulcanisation du caoutchouc. Alors concevoir et fabriquer une semelle, comment ça marche ?

La conception

Le besoin

Pour concevoir une semelle, il faut comprendre quelles sont les besoins de l’utilisateur. En trail running par exemple, il faut une bonne « capacité de traction » sur des sols naturels et une masse limitée pour ne pas trop détériorer la biomécanique de course. A côté de ça, une chaussure de travail évoluera sur des surfaces « industrielles » (béton, passerelles en acier, etc.) et pour des raisons de sécurité, elle pourra aussi privilégier l’isolation électrique ou la protection contre les perforations. Ainsi, en analysant le type d’activité, l’utilisateur et la nature des sols rencontré, Vibram esquisse un cahier des charges pour sa semelle.

Géométrie et matière

A partir de ce cahier des charges, il faut donc créer la semelle en jouant sur deux composantes : sa géométrie et sa matière. Concevoir une géométrie, c’est déterminer la forme, la largeur, l’épaisseur générale de la semelle ; la forme et le nombre de crampons, leur hauteur, orientation, la présence rainures ou leur texture. Évidemment, la géométrie étant la partie visible, certaines marques veulent des géométries sur-mesure, pour un usage spécifique ou simplement pour se différencier. Cependant Vibram propose aussi des géométries qui lui sont propre, comme le Carrarmato.

Pour la matière, différents composants entre en jeux, avec le caoutchouc comme base, des additifs, mais aussi le processus de vulcanisation lui-même : température, temps de « cuisson », pression dans le moule. Ici, Vibram a développé une gamme de composants – Megagrip, Ecostep ou encore Superwork – pour répondre aux besoins les plus récurrents : adhérence, résistance à l’abrasion, aux températures extrêmes, etc.

L’ensemble géométrie et matière détermine les caractéristiques finales de la semelle : capacité de traction sur un/plusieurs types de surfaces, résistance à l’usure, légèreté, flexibilité, couleur, etc. C’est ce que Vibram va appeler « Technologie », comme l’Arcticgrip, qui est composé d’une géométrie adaptée aux déplacements sur la neige/glace, d’un composant « structurel » et de pads qui adhère sur la glace.

La technologie Arcticgrip : composé d’une géométrie adaptée aux déplacements sur la neige/glace, d’un composant « structurel » et de pads qui adhère sur la glace.

La Fabrication

La Vulcanisation – le principe

Une fois la semelle imaginée, encore faut-il la fabriquer. La matière de base d’une semelle Vibram, c’est le caoutchouc. Il peut être naturel (issu de la sève de l’hévéa par exemple) ou bien synthétique (issue de la pétrochimie). Cependant ce matériau n’est pas très stable : il est très malléable à haute température, cassant à basse température. Pour le stabiliser, on va donc le « vulcaniser » : on le fait chauffer en le mélangeant avec un agent vulcanisant (historiquement du soufre), qui va lier les molécules du caoutchouc, le rendant parfaitement élastique. C’est ce procédé qu’à découvert Charles Goodyear en 1842.

La Vulcanisation – en pratique

En pratique, pour obtenir un caoutchouc qui répond aux exigence de la semelle, on va lui ajouter un certain nombre d’additifs avant la vulcanisation (entre dix et vingt). On peut utiliser des « charges renforçantes » pour améliorer sa résistance à l’usure : le noir de carbone est ainsi utilisé pour augmenter la résistance à l’abrasion et aux rayonnement ultraviolet. C’est lui qui donne la couleur noire au semelles et pneus. Dans la même veine, la silice augmente la résistance aux déchirures et améliore l’adhérence sur les surfaces froides. D’autres produits sont aussi utilisé pour protéger et améliorer le matériau final, lui donner un aspect ou une caractéristique spéciale (huiles, résines, agents ignifugeants).

L’ensemble de ces produits est mélangé, malaxé, pour obtenir une pâte homogène. C’est cette pâte qui est mis dans les moules de semelle. Commence ensuite la vulcanisation à proprement parlé. La pâte, dans son moule, est chauffé suivant un schéma précis de monté en température, « cuisson » puis refroidissement. Ainsi, l’agent de vulcanisation lie les molécules de caoutchouc et le matériau se fige avec les propriétés désirées. Une fois vulcanisé, on enlève les bavures du moulage et la semelle est prête à être collé sous la chaussure.

Évidemment, la liste exacte et les proportions des matériaux utilisé, ainsi que le schéma de cuisson, sont des secrets bien gardé. Cette culture du secret, chez le fabricant de caoutchouc, donne toujours lieu à des anecdotes intéressantes : chez Vibram, chaque matière entrant dans la composition de la semelle a un nom issu de la culture italienne.

Ainsi, au niveau du mélangeur, nulle trace de carbonate de calcium, d’oxyde de zinc ou de paraphenylendiamines… En lieu et place on trouve une cuve de Monte Peller, de laurier et un bac d’Antermoia. De cette façon on limite les erreurs de mélange, et surtout, l’operateur qui s’occupe des mélange ne connait que les proportions, celui qui donne les noms ne connait pas les proportions de mélange.

Texte et © photos/illustrations – Kevin Saussure

avril, 2024

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